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  • : Balade Ton Chien
  • : Association dont le but est de favoriser une relation amicale avec les chiens
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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 09:00

Présentation de l’article

 

argus-et-odin-2.jpgCet article fait suite aux deux temps d'échanges organisés par les équipes Balade ton chien de Vendée et de Moselle (http://0z.fr/6-w6h). Cet article revient en détail sur le thème du jeu dans la relation avec le chien.

Ce texte est l'occasion de revenir sur un sujet qui intéresse bon nombre de personnes vivant avec un chien. Mais que le lecteur soit prévenu, il ne trouvera pas de conseils ou de méthodes. Il ne s'agit pas ici de réduire le jeu à un simple moyen visant à contrôler les comportements d'un chien. Au contraire, notre intention est de rappeler que le jeu est d'abord la conséquence de ce lien si particulier qui nous unit aux chiens.

Si votre intérêt vous porte à découvrir les coulisses du jeu chez nos compagnons canins et à saisir l’intérêt de partager avec ces velus des expériences ludiques, alors cet écrit répondra à votre attente.

 

Contribuez à la mise en image de cet article en proposant vos photos et/ou vidéos d'illustration

(merci de me les faire parvenir à l'adresse steph.tk@laposte.net en indiquant le paragraphe de destination)

 

Voyage dans l'univers ludique partagé avec nos chiens

1.      Entrer dans le jeu de la relation avec nos chiens

1.1.        l’intérêt du jeu dans la vie partagée entre des humains et des chiens

1.2.        L’idée d’une relation ludique avec les chiens est-elle envisageable ?

1.3.        Ces jeux qui n’en sont pas

Bibliographie

Notes

1.    Entrer dans le jeu de la relation avec nos chiens

S’intéresser au jeu chez le chien suppose déjà d’admettre qu’ils jouent. Quelle personne dirait autre chose si on lui demandait ce que fait son chien poursuivant la balle qui vient de lui être lancée. C’est pourtant cette certitude qui m’a soufflé l’idée d’ouvrir la discussion de la réunion consacrée à ce sujet en déclarant : « Le jeu n’existe pas ! » Et si cette proposition a d’emblée jeté un trouble chez les participants, rapidement un vent d’opposition quasi unanime s’est levé.  Finalement, en cherchant à justifie le choix d’affirmer l’existence du jeu, chacun a pu mesurer que l’évidence des activités ludiques n’est qu’une apparence. C’est d’ailleurs ce que vous-même allez pourvoir découvrir dans cette 1ère partie d’article qui débutera par le questionnement servant de cadre à cette réflexion, pour se poursuivre sur la base de quelques considérations permettant d’envisager la relation ludique avec le chien, et qui se terminera par l’évocation de ces jeux qui n’en sont pas.

1.1. l’intérêt du jeu dans la vie partagée entre des humains et des chiens

Chacun de nous possède l’expérience du jeu et du plaisir qui l’accompagne. C’est là d’ailleurs deux aspects des activités ludiques que nous partageons avec nos chiens. Au-delà de ce constat qui fera sans doute consensus, une question se pose tout de même :

  • Comment le jeu peut-il permettre d’enrichir notre relation avec nos compagnons canins ?

Pour apporter quelques éléments de réponse à ce questionnement,  je m’attacherai principalement à montrer que les activités ludiques dans la vie de nos velus présentent l’intérêt d’être une voie d’accès leur permettant :

  1. D’acquérir des informations sur le monde dans lequel ils vivent. Autrement dit, mon intention est de montrer que le jeu permet d’enrichir le monde vécu du chien ;
  2. D’établir des liens avec leurs congénères et leur famille humaine. Autrement dit, mon intention est de montrer que le jeu permet au chien de développer des compétences sociales intraspécifiques[1] et interspécifiques[2].

En annonçant aussi clairement mon intention, peut-être serez-vous tenté de me reprocherer un certain parti pris pour le chien, ne voyant finalement que le reflet d’un désir de défendre la cause des chiens. Pourtant, en prenant le temps de la lecture, vous découvrirez que le jeu chez le chien possède bien plus de similitudes avec celui de l’homme, que le simple partage d’une expérience émotionnelle. Car finalement, parler du jeu chez le chien, n'est-ce pas tout simplement une façon de mieux comprendre ce qui fait la spécificité de l’Homme ? Comme le montrent dans leurs ouvrages Claude Bensch, Mélanie Klein, ou encore Stéphane Jacob et Thomas Power, auteurs qui seront convoqués dans la deuxième partie de cet écrit (cf. bibliographie). Et comme le révèle également, au-delà de ces apports théoriques, choisies avant tout pour éclairer avec sérieux mon propos, les expériences issues de notre quotidien partagé avec nos chiens qui viendront éclairer par des exemples concret cette réflexion sur le jeu.

Au final, c'est mon double intérêt à comprendre la vie des chiens et celles des Hommes, qui conduira la pensée que je développerai au fil de cet écrit destiné à dévoiler les aspects de la dimension ludique tels qu’ils se laissent observer dans le rapport qui unit ces deux espèces. Mais avant de nous concentrer précisément sur le jeu, voyons pour commencer dans quelle mesure il est possible d’envisager une relation ludique avec le chien.

1.2. L’idée d’une relation ludique avec les chiens est-elle envisageable ?
1.2.1.   La place du jeu dans la vie des Hommes

À notre époque où le slogan « travailler plus pour gagner plus » rappelle la forte valeur que représente le travail dans notre société, on finirait presque par oublier la place importante également accordée aux loisirs[3].  En considérant le jeu comme un loisir parmi d’autres, ce qui ne fait aucun doute pour Gille Brougère[4], cela veut-il dire pour autant que l’on joue beaucoup ? Pas vraiment si l’on se fie à l’étude[5] de l’INSEE[6] indiquant qu’en moyenne nous consacrons 15 minutes de notre temps de loisir à jouer. Malgré cet indicateur qui pourrait laisser penser que l’on joue peu, il est tout de même remarquable de constater que le jeu, encore largement associé au monde de l’enfance, a su pourtant conquérir tous les âges et toutes les couches sociales[7]. Comme me le confirmait dans un entretien une professionnelle formée en sciences du jeu qui me disait :

« C’est vrai que c’est pour moi une avancée de l’homme d’avoir libéré, comme ça, son rapport au jeu. À une époque, les jeux d’adultes, c’était réservé à l’aristocratie, à la bourgeoisie. C’était au château qu’on jouait. Mais voilà, au fur et à mesure, on a libéralisé un peu tout ça. Donc le jeu est arrivé dans la plupart, en tout cas en France, dans la plupart des foyers. Et on a, comme ça, une évolution du jeu et de la place du jeu que je trouve passionnante et très intéressante. [8] »

Si ce constat peut paraître d’une faible portée, il a pourtant le mérite de montrer que le jeu, encore souvent opposé à la rigueur du travail,  est une affaire qui mérite d’être prise au sérieux. Mais surtout, cet extrait d'entretien révèle combien le jeu est un aspect incontournable de nos vies d'Homme, tout autant que le travail. Comme l’avait déjà fait remarqué en son temps Johan Huizinga (2008) qui consacra un essai à la fonction sociale du jeu dans lequel il écrivait en avant-propos :

« Lorsqu’il est apparu clairement que le nom de Homo sapiens convenait moins bien à notre espèce que l’on ne se l’était figuré jadis, parce qu’en fin de compte nous ne sommes pas aussi raisonnables que l’avait imaginé le siècle des Lumières dans son naïf optimisme, on a cru bon d’ajouter à la première définition celle de Homo faber. Or, ce second terme est encore moins propre à nous définir que le premier, car faber peut qualifier maint animal. Et ce qui est vrai de l’acte de fabriquer l’est aussi du jeu : nombre d’animaux jouent. En revanche, le terme de Homo ludens, l’homme qui joue, me semble exprimer une fonction aussi essentielle que celle de fabriquer, et donc mériter sa place auprès du terme de Homo faber » (p.11).

Maintenant que nous sommes libérés de la futilité enfantine des activités ludiques, nous allons pouvoir entrer pleinement dans cette réflexion centrée sur le jeu. Cette occasion va me permettre de vous montrer que sous son apparente simplicité, cette notion recèle en réalité bien des mystères qui rendent les situations ludiques partagées avec nos velus, aussi intrigantes que passionnantes. Mais pour parcourir ce chemin initiatique vers cette « chose nommée jeu » - pour reprendre l’expression de Jacques Henriot (1989, p.85.) -  encore me faut-il prendre un temps pour délimiter les contours de cette réflexion. Cette précaution sera une garantie pour ne pas nous perdre dans les méandres de la complexité de la notion du jeu. Mais surtout, il va s’agir pour moi de vous montrer l’intérêt d’approcher le jeu pour penser de manière plus large la relation qui nous unit au chien.

1.2.2.   Une relation avec le chien qui s’est profondément transformée

Cette relation justement, elle aussi possède quelque chose de mystérieux qui la rend si intrigante et passionnante. Il suffit de constater combien le chien continu de susciter notre intérêt alors même qu’il est devenu majoritairement inutile. Pour nuancer ce propos, on pourrait dire que l’utilité du chien n’a plus l’aspect utilitaire qu’on lui connaissait à l’époque pas si lointaine où ce velu accompagnait encore l’homme dans son labeur. Désormais, le chien ne semble avoir d’intérêt pour l’Homme que celui de servir sa compagnie. C’est en tout cas ce qu’explique Jean-Pierre Digard (2005) quand il écrit dans son ouvrage, Les français et leurs animaux, que :

« Pour accéder pleinement à leur statut d’intimes de l’homme, ces animaux ne doivent servir à rien d’autre qu’à sa compagnie et donc être entièrement disponibles pour leur maître » (p.33).

Si ce point de vue est discutable, un regard tourné vers l’histoire[9] du chien amène à constater, malgré tout, qu’il est difficile  de contredire cet anthropologue quand il précise que :

« Aujourd’hui, il n’y a plus rien de commun entre l’animal « bon à tout » qu’il [le chien] était encore il n’y a pas si longtemps et sa situation d’animal de compagnie par excellence, avec tous les privilèges attachés à ce statut » (Digard, 2005, p.36).

A y regarder de plus près, cette apparente inutilité de nos animaux familiers révèle surtout le changement profond de la nature des activités que nous partageons avec nos chiens. La relation utilitaire associant le chien à nos activités de travail a laissé place aujourd’hui à une relation d’une tout autre nature dans laquelle la dimension affective prédomine. Face à ce constat, peut-on alors vraiment affirmer, comme le fait Jean-Pierre Digard, que les chiens ne servent à rien ? Je n’ai pas de doute quant à l’existence de quelques irréductibles nostalgiques pour répondre par la négative à cette question. Ils sauront étayer leurs propos en rappelant qu’il existence encore aujourd’hui des activités utilisant le chien comme berger, protecteur, truffier, chasseur, etc. Pourtant, force est de constater que ces formes d’utilisations de celui qu’on qualifie aisément de « meilleur ami de l’homme » sont devenues marginales en plus d’être généralement pratiquées dans un cadre de loisir, qui les éloigne d’autant de leur fonction d’origine. Et même l’exemple de chiens qualifiés d’utilitaires, comme ceux croisés dans la rue en situation de guider une personne déficiente visuelle, confirme, par un rapide calcul[10], cette tendance. Mais cette attention portée sur l’érosion utilitaire du chien met surtout en lumière que le statut de cet animal dans nos sociétés modernes et le rapport que nous entretenons avec lui ont profondément changé.

Dans la continuité de cette idée, une autre question se pose. Peut-on dire qu’en ne servant apparemment à rien,  les chiens sont devenus des animaux qui ne font rien ? C’est en tout cas une vision que semblent défendre les spécialistes pour lesquels les difficultés rencontrées avec cet animal sont la conséquence de son ennui. À l’exemple du vétérinaire Joël Dehasse (2009) qui introduit son dernier ouvrage intitulé, Mon chien est heureux, en affirmant que :

« Tous les chiens s’ennuient. Okay, j’exagère. Je veux dire que 80%  des chiens de famille s’ennuient. Seulement 80% ? Sans doute plus, mais contentons-nous de 80 » (p.15).

S’il ne s’agit pas ici de débattre de l’ennui avéré ou non chez le chien, cette vision est intéressante parce qu’elle est révélatrice de notre souci contemporain à l’égard du bien-être de nos animaux familiers. Attention particulière qui, là encore, permet de mesurer à quel point notre relation avec nos chiens s’est transformée.

Au final, ces deux points de vue d’auteurs, dont je comprendrais qu’elles suscitent la contestation, ont tout de même l’intérêt d’aider à saisir la transformation profonde de la relation dans laquelle nous sommes engagés avec le chien. Mais le plus remarquable dans ce changement est de constater que notre compagnon canin, encore consommé[11] il y a peu dans notre pays pour sa viande et sa  fourrure, est désormais considéré par bon nombre de personnes comme un membre à part entière de nos familles humaines.

1.2.3.   Une communauté mixte hommes-chiens où le jeu à sa place

Après avoir étayé mon propos sur la base de deux thèses révélant pour l’une,  l’inutilité actuelle du chien, et pour l’autre, son ennui inhérent au fonctionnement de nos sociétés modernes, il me paraît nécessaire d’en atténuer la portée. En effet, en révélant la transformation de notre rapport avec nos animaux familiers, ces deux visions laissent à penser que le chien est enfermé, sans marge de manœuvre, dans une dépendance relationnelle au sein de laquelle, seul l’humain tout puissant agirait pour le meilleur et le pire de son animal. Or, de mon point de vue, celui qui sera présent en filigrane de cet écrit, notre rapport avec le chien est différent. Car n’oublions pas que le chien est aussi un acteur social apte à construire son monde propre et à lui donner du sens. L’approche qui est la mienne dans cet écrit veut prendre en compte la capacité de cet animal à interagir au sein d'un rapport interespèce où chaque individu humain et canin possède un certain degré d’autonomie. Car comme l’explique le sociologue Dominique Guillo (2009) dans son ouvrage, Des chiens et des humains :

« […] il peut exister un authentique lien social entre l’homme et l’animal, autrement dit un lien fait d’interactions entre deux parties prenantes actives, et non simplement un rapport entre un sujet, d’un côté, et une chose, de l’autre. Un tel constat autorise à évoquer l’existence d’une véritable société mixte composée de deux espèces : les humains et les chiens » (p.286).

C’est donc dans cette perspective d’une véritable communauté mixte interespèce que se situe cette réflexion s’intéressant plus particulièrement à la dimension « zooludique[12] » - pour reprendre l’expression de la sociologue Delphine Descamps – de la relation homme-chien. En centrant ainsi cette réflexion sur le jeu, il s’agit également de vous inviter à envisager les activités ludiques partager avec votre velu comme un moyen d’exploration et d’enrichissement de votre relation avec lui. Car comme le suggère le philosophe Dominique Lestel (2003) en conclusion de son ouvrage, Les origines animales de la culture :

« Il est peut être temps de reconnaître que les “devenir-animaux“ chers à Deleuze et Guattari sont plutôt des devenirs conjoints animaux et humains, qu’ils sont émotionnels et collectifs, plutôt qu’intellectuels et individuels, et qu’ils peuvent sortir des marges pour devenir le pivot de sociétés inédites, sensiblement différentes des sociétés occidentales que nous connaissons, et sans doute plus proches des sociétés “premières“ qui nous reste encore inaccessibles pour cette même raison » (p. 407).

Si la proposition de Dominique Lestel est séduisante, encore faut-il savoir comment l’expérience du jeu avec son chien et l’état d’esprit ludique qui en découle pourraient favoriser l’émergence d’une forme relationnelle inédite avec nos velus.

Entrer directement dans le vif du sujet pour apporter quelques réponses à ce questionnement est tentant. Pourtant, il me paraît nécessaire de prendre un temps pour délimiter les contours de cette réflexion portée par la notion de jeu. Cette précaution permettra de naviguer avec plus d’aisance dans l’univers du ludique dont on commence déjà à mesurer la complexité. Cette prudence nous évitera aussi l’écueil du détournement dont cette notion est régulièrement la victime malheureuse, à tel point d’ailleurs que son âme et son esprit finissent parfois par nous échapper.

1.3. Ces jeux qui n’en sont pas
1.3.1.   La difficulté de définir et de dire ce qu’est le jeu

Si la dimension relationnelle avec le chien justifie que l’on s’intéresse à comprendre ce qui se joue au sein des activités ludiques partagées nos velus, c’est pourtant bien le jeu qui est au cœur de cet article. Aussi, une manière simple de commencer cette réflexion aurait pu être de répondre à la question « qu’est-ce qu’un jeu ? » Il m’aurait alors suffi d’ouvrir un dictionnaire pour vous livrer telle qu’elle la définition. Or, ce n'est pas mon intention. Ne soyez pas déçu, rien ne vous empêche d'ouvrir un dictionnaire pour trouver par vous-même une réponse à cette question. À moins que vous acceptiez de jouer le jeu consistant à prendre un papier et stylo pour proposer votre propre définition. Si vous vous êtes pris à ce jeu, sans doute admettrez-vous qu’il n’est finalement pas aisé de définir ce mot. Et pour cause, le jeu est une notion complexe qui se laisse difficilement enfermer dans le cadre d’une définition. Pour comprendre cette difficulté, rien de tel qu’un bref passage par la philosophie qui, même si elle ne nous a pas laissé un souvenir très agréable, aura au moins le mérite de nous aider à comprendre la difficulté à définir le mot jeu. À ce stade, je laisse volontiers la parole à Stéphane Chauvier (2007) qui, dans son ouvrage intitulé, Qu’est-ce qu’un jeu ?, explique que :

 « S’il est donc sans aucun doute vain de chercher à répondre à la question « qu’est-ce qu’un jeu ? » en énumérant une série de caractéristiques communes et propres à tous les jeux d’institution, c’est que notre concept de jeu n’est pas un concept classifiant, comme le lapin ou la table, mais un concept qu’on pourrait dire assimilant » (p.10).

Dans le prolongement de cette idée, un autre obstacle apparaît qui permet de comprendre la difficulté de cerner ce qu’est le jeu. Il s’agit tout simplement de notre langue qui ne distingue pas, comme c'est le cas en anglais, le play (le jeu en tant qu’activité) et le game (le jeu en tant que support). Autrement dit, le français ne différencie pas le jeu d’échec de l’échiquier qui est son support. C’est donc pour contourner cette difficulté posée par la définition du jeu que j’ai choisi finalement de m’attacher à montrer ce que le jeu n’est pas. Ce détour ne sera que profitable pour nous aider à comprendre ce qui se joue dans le jeu. Et comme vous allez le découvrir, loin d’être une perte de temps, les exemples qui vont suivre en disent long sur les situations où le jeu est évoqué dans la relation avec nos chiens.

1.3.2.   L’habillage d’un jeu ne fait pas le jeu

Pour étayer mon propos, je prendrai comme premier exemple les animaleries, lieux dans lesquels on trouve une profusion d’objets vendus pour être des « jouets » pour chien. En entrant dans ces temples du bizness animalier, on constate que les jeux sont en bonne place dans les rayons. Pourtant, une observation attentive montre que ces « jouets » sont généralement détournés de leur vocation ludique. En effet, il suffit d'un bref échange avec un vendeur ou de la lecture furtive d'une notice[13] proposée avec certains de ces "jeux", pour comprendre, au travers de l’argumentaire déployé, que ces objets sont pensés avant tout pour être autant de moyens de contrôle des comportements potentiellement nuisibles du chien (destructions, aboiements, etc.). Ainsi, trouvera-t-on, entre autres exemples, des « jouets » pouvant être fourrés de nourriture pour occuper son chien ou d'autres dont les vendeurs nous disent qu’ils permettront à notre toutou, grâce à leur résistance, de se faire les dents sur eux plutôt que sur le mobilier de la maison. Je ne parle même pas des « jouets » vendus pour leurs soi-disant qualités éducatives censées, sans doute, transformer notre compagnon en chien savant.

On retrouve ce même détournement du jeu dans les librairies offrant un rayon dédié aux ouvrages consacrés à notre compagnon à quatre pattes. Il suffit de consulter l’un de ces livres pour y trouver en bonne place un chapitre consacré aux jeux canins. Mais là encore, une observation attentive révèlera qu’en général, le jeu n’est qu’un prétexte destiné à proposer une énième méthode de contrôle par le dressage du chien. Finalement, ces livres, aussi attrayants soient-ils avec leurs couleurs sympathiques et leurs images spectaculaires de chiens exécutant des tours, ne font qu’utiliser l’image positive dont bénéficie aujourd’hui le jeu pour diffuser des trucs et des astuces utilisant la ruse ludique comme réponse à cette sacro-sainte injonction de « Il faut éduquer votre chien ». Sans remettre en question l’intérêt du dressage d'un chien, quand cela est nécessaire, il me paraît tout de même important de souligner que les exercices proposés par les auteurs de ces ouvrages n'ont, en réalité, rien de ludique.

Maintenant que ces quelques précautions ont été prises pour éviter un détournement involontaire de notre réflexion, n’attentons plus pour entrer ensemble dans le jeu de cette relation ludique partagée avec nos chiens.

Steph TK.

(Prochainement vous pourrez lire la deuxième partie de cet article).

Bibliographie

Livres

Béteille, R., Histoire du chien, Paris : PUF, 1997, 125 p., Que sais-je ?

Bensch, C., Jeux de velus : l’animal, le jeu et l’homme, Paris : Odile Jacob, 2000, 294 p.

Brougère, G., Jouer/Apprendre, Paris : Economica, 2005, 173 p., Anthropos.

Chauvier, S., Qu’est-ce qu’un jeu ?, Paris : Librairie philosophique J. Vrin, 2007, 125 p.

Dehasse, J., Mon chien est heureux : jeux, exercices et astuces, Paris : Odile Jacob, 2009, 195 p.

Digard, J-P., Les français et leurs animaux : ethnologie d’un phénomène de société, Paris : Hachette littératures, 2005, 281 p., Pluriel ethnologie.

Dumazedier, J., Vers une civilisation du loisir ?, Paris : Seuil, 1980, 309 p.

Guillo, D., Des chiens et des humains, Paris : Le Pommier, 2009, 319 p., Mélétè.

Henriot, J., Sous couleur de jouer : la métaphore ludique. Librairie José Corti, 1989, 318 p.

Lestel, D., Les origines animales de la culture, Paris : Flammarion, 2003, 414 p.

Millar, S., La psychologie du jeu chez les enfants et les animaux, Paris : Payot et Rivage, 2002, 365 p.

Power T., Jacob J., Petits joueurs : les jeux spontanés des enfants et des jeunes mammifères, Sprimont (Belgique) : Éditions Mardaga, 2006, 151 p.

Article

Milliet, J., Manger du chien ? C'est bon pour les sauvages !, in L'Homme, 1995, tome 35 n°136. pp. 75-94. [En ligne] [08-05-2010] Consultable à l’adresse : <URL http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1995_num_35_136_370000 >

Mémoire

Descamp, D., Éthologie du jeu ou la « relation zooludique entre l’enfant et le chien », Mémoire de master en sciences humaines et sociales mention ethnologie [En ligne] 2005-2006 [08-05-2010] Consultable à l’adresse : <URL http://delphine.descamps.free.fr/pdf/ETHOLOGIE%20DU%20JEU_Delphine_Descamps_Livre.pdf >

Notes


[1] Intraspécifique : Qui a lieu à l’intérieur d’une espèce donnée.

[2] Interspécifique : Qui concerne les rapports entre les espèces.

[3] Dans son ouvrage intitulé, Vers une civilisation du loisir ?, le sociologue Joffre Dumazedier (1980) précise que : « Le loisir est un ensemble d’occupations auxquels l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales ou sociales » (p.29).

[4] À propos du jeu en tant que loisir, Gille Brougère (2005), professeur en sciences de l’éducation et responsable du master en sciences du jeux de l’université Paris 13, explique dans son ouvrage, Jouer/Apprendre : « Le jeu est non seulement un loisir parmi d’autres, le premier d’entre eux d’un point de vue chronologique, mais sans doute une forme de loisir dominante, en particulier à travers l’importance accordée à un jeu en particulier, le sport » (p.124).

[5] Hamard, J., Le temps libre, INSEE Pays de Loire [En ligne] N°81 Août 2003 [01.05.10] Document consultable sur Internet : <URL http://www.insee.fr/fr/insee_regions/pays-de-la-loire/themes/infostat/infostat81.pdf>

[6] INSEE : Institut Nationale de la Statistique et des Études Économiques

[7] La revue Sciences Humaines a consacré un dossier au jeu dans son mensuel d’août-septembre 2004 titré, A quoi sert le jeu ?, et dans lequel vous trouverez une partie rendant compte des principales manières d’envisager le jeu à travers l’histoire.

[8] Verbatim issu d’un entretien réalisé avec une professionnelle formée en sciences du jeu. Cet échange était destiné à alimenter une étude universitaire portant sur l’apport du jeu dans les situations d’interactions entre des personnes valides et handicapées.

[9] Pour une vue synthétique de cette histoire, vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Roger Béteille, Histoire du chien, Paris : PUF, 1997, 125 p., Que sais-je ?

[10] Depuis 1952, date à laquelle Dicky, premier chien-guide, a été confié à M. Blin, seulement 3000 autres de ses congénères ont été dressés dans le même but (source Fédération Française des Associations de Chiens-guides d’aveugles : http://www.chiensguides.fr/site/accueil/index.php). En comparaison des 7,8 millions de chiens en France (source TNS/Facco : http://www.facco.fr/Resultats-de-l-enquete-2006), les chiens utilisés comme guide d’aveugles représentent donc 0,03% de la population canine. Les autres utilisations de chiens dans diverses autres tâches étant également tout aussi marginales.

[11] Milliet, J., Manger du chien ? C'est bon pour les sauvages !, in: L'Homme, 1995, tome 35 n°136. pp. 75-94. [En ligne] [08-05-2010] Consultable à l’adresse : <URL http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1995_num_35_136_370000 >

[12] Descamp, D., Éthologie du jeu ou la « relation zooludique entre l’enfant et le chien ». [En ligne] Mémoire de master en Sciences Humaines et Sociales mention ethnologie – 2005-2006 [08-05-2010] Consultable à l’adresse :

<URL http://delphine.descamps.free.fr/pdf/ETHOLOGIE%20DU%20JEU_Delphine_Descamps_Livre.pdf >

[13] Voici par exemple ce que l’on peut lire sur la notice d’un célèbre « jouet » pour chien qui était notamment utilisé dans le centre de dressage de chiens-guides d’aveugles dans lequel j’ai travaillé : « Mettez votre chien au travail ! Employé comme distributeur de nourriture et/ou utilisé comme jouet, Kongs© occupera votre chien durant de longues heures et le préservera de l’ennui » (traduction libre). Intégralité de la notice disponible à l’adresse : <URL http://www.kongcompany.com/userGuides/KONGUserGuide.html >

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commentaires

S
<br /> <br /> Passionnant cet éclairage sur les interactions ludiques entre l'homme et le chien qui nous éclaire autant sur la place du chien (en tant qu'acteur social) et sur les aptitudes ludiques de l'homme<br /> (Homo Ludens). Les précisions sur les jeux détournés pour servir l'homme.<br /> <br /> <br /> Un grand merci pour cet article dense et qui reflète une vrai réflexion.<br /> <br /> <br /> stéphanie<br /> <br /> <br /> <br />
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