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Présentation

  • : Balade Ton Chien
  • : Association dont le but est de favoriser une relation amicale avec les chiens
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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 21:00

Cet article rédigé par Stéphane présente le contenu de son intervention lors de la soirée-discussion proposée par l'université populaire du Sud Charente. Cette association s'inscrivant dans le mouvement de l'éducation tout au long de la vie a souhaité proposer à ses membres une nouvelle thématique consacrée à la relation homme-animal. C'est avec un grand plaisir que nous avons répondu à l'invitation de son président, Pierre-Marie Bourlon, pour ouvrir la discussion sur ce thème à partir d'une réflexion sur la relation entre les humains et leurs chiens. Deux autres interventions sont prévues en début d'année 2013 (voir le programme de l'université populaire du Sud Charente).

Réflexion autour de la relation entre l'homme et le chien

enfant-chien

Cette intervention a pour objectif d'introduire la discussion sur le thème des relations entre l’homme et l’animal, plus particulièrement celle qui nous unit au chien. Le choix pour cette espèce nous aidera à ne pas nous perdre dans l’étendu du thème. Entre lui et nous, il y existe déjà bien des choses à découvrir. J’espère tout de même que cet intérêt pour le chien suscitera votre curiosité pour les questions qui interpellent plus largement notre rapport au vivant.

Pour illustrer mon propos, je m’appuierai sur mon expérience professionnelle où les chiens et la relation que nous établissons avec eux tiennent une place importante. Je convoquerai également plusieurs auteurs choisis dans le champ des sciences humaines et animales. Cela montrera que ces domaines ne sont pas aussi hermétiques l’un à l’autre qu’on pourrait le penser. En outre, la rencontre avec ces penseurs vous permettra de recueillir quelques références bibliographiques pour approfondir le sujet.

Cette présentation repose sur trois parties abordant chacun un aspect permettant de mieux comprendre ce qui se joue dans la relation entre les humains et les chiens. Tout d’abord, j’expliquerai comment s’est érigée la séparation entre l’homme et l’animal.  Ensuite, je montrerai que les chiens vivant dans nos maisons ne sont plus tout à fait les mêmes que ceux qui aidaient autrefois nos proches ancêtres. Je terminerai en évoquant le premier malentendu à partir duquel débute parfois une relation avec un chien. Cela nous permettra d’engager une discussion dans laquelle j'espère vous montrer qu’il est plus simple de commencer par se comprendre si l’on veut vivre ensemble.

Plan de lecture

A.     Le chien : un animal bon à penser. 2

A.1 Qui est-il ?. 2

A.2. Une machine ou un sujet ?. 3

A.3. Origine de la séparation homme/animal : la pensée cartésienne. 5

B.     Une histoire en partage. 7

B.1. La fonction métaphysique de l’animal 7

B.2. Les premières domestications. 8

B.3. Du chien utilitaire au chien de famille. 9

C.     Quand un chien arrive dans la famille. 10

C.A. L’importance de l’attachement. 10

C.B. Se comprendre pour vivre ensemble

 

On l’a peut-être oublié, mais la dernière boucherie canine a fermé en Allemagne dans les années 1940. En paraphrasant le célèbre aphorisme de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, on voit que le chien n'a pas toujours été un animal juste bon à penser. Pourtant, la découverte des premières peintures d’animaux témoigne de la relation que nous avons toujours eue avec eux, avant même que nous vienne l’idée de les manger. Aibo, chien robot développé et commercialisé par la firme Sony, est un exemple montrant que cette fascination a perduré. En prenant l’apparence et en simulant certaines des caractéristiques comportementales des chiens, ce jouet électronique est un indice de la place bien particulière occupée nos compagnons canins dans notre société. Pour nous rendre compte encore une peu plus, voici une question sur laquelle je vous propose nous arrêter un instant.

Qui est ce chien vivant à mes côtés ?

Pour vous prêter à ce petit jeu de question, c’est simple. Sur une feuille, indiquez le nom de votre chien et donnez au maximum cinq adjectifs pour qualifier qui il est.

A.1 Qui est-il ?

médaille-nom-chien

Ce petit exercice n’a sans doute posé aucune difficulté à la majorité d’entre vous. Pourtant, comme nous allons le voir, les réponses sont loin d’être anodines. Pour commencer, intéressons-nous au nom donné à notre velu. N'est-ce pas là un nouvel indice de la relation particulière qui nous unit à lui ? En voici une illustration.

Quand je raconte une situation vécue avec Choupinette, il s’agit bien d’évoquer cette chienne si particulière à mes yeux. Pourtant, elle fait partie des 7,5 millions de chiens vivant dans une famille française(1). En la nommant, je choisis de la distinguer de la masse de l’espèce à laquelle elle appartient. Le nom que je lui attribu vient rappeler qu’au-delà d’une apparence commune à d’autres, elle possède des caractéristiques qui lui sont propres. Choupinette par exemple a pour habitude de monter sur mon épaule quand je suis assis dans le canapé. C'est ainsi qu'elle me signifie son besoin d'aller dans le jardin. En vivant avec un chien, on a tous des exemples a donné montrant combien chacun d'eux est d'abord un individu. C'est pour cette raison qu'il est bien difficile de réduire le chien aux caractéristiques de son espèces.

Dans son ouvrage consacré à la sociologie des prénoms, Baptiste Coulmont [2011, p. 105] fait remarquer que : « Les animaux domestiques (chiens et chats surtout) portent un nom qui les singularisent ». Sa démonstration s’appuie sur une étude de Colette Méchin [2004, p. 134] dans laquelle cette ethnologue explique que : « […] dans le règne animal, pour être nommé, il faut être distinguable, individualisable […] (2) »

Pour aussi évident que cela puisse paraître, considérer un chien en tant qu’individu à part entière est pourtant loin d’aller de soi. C’est d’ailleurs l'un des problèmes soulevés par la philosophie qui rappelle la frontière historiquement construite et encore bien présente qui sépare l’homme, être de culture, de l’animal, être de nature. Je ne dis pas bien sûr que tous les philosophes admettent cette séparation. Au contraire, les preuves apportées par la science, notamment l'éthologie, ont ces dernières années bouleversé les conceptions anciennes. Des philosophes comme Elisabeth de Fontenay contribue à rapprocher grâce à leurs réflexions deux mondes, animal et humain, que longtemps la pensée cartésienne a tenu à distance l'un de l'autre.

Où est le problème avec mon chien me direz-vous ? Il se situe justement dans le fait de se demander qui il est. En effet, ce qui en tant que pronom relatif renvoie indistinctement à une personne ou à une chose. Si je me demandant qui je suis, il n’y a aucun doute sur la réponse : je ne suis pas une chose, Stéphane n'est pas une chose mais une personne. Pour mon chien, la réponse est moins évidente. Il suffit de voir comment ils sont traités pour se demander s'ils ne sont pas le plus souvent considéré comme de simple chose. Or, de notre choix de considérer notre chien soit comme une personne, on pourrait dire comme un sujet pour rester raisonnable, ou comme une chose va découler une certaine manière d’être en relation avec lui.

Un détour par la philosophie va nous permettre d'en savoir un peu plus sur cette distinction qui nous conduit encore aujourd'hui à hériger une frontière si net entre nous et eux, entre notre culture humaine et leur nature animale.

A.2. Une machine ou un sujet ?

Parler du chien qui a grandi à nos côtés comme s’il s’agissait d’un objet en fera sans doute bondir plus d’un. Pourtant, sachez que cette question est loin de faire consensus. En effet, aujourd’hui encore des scientifiques et des philosophes appuient leurs travaux sur une conception de l’animal plus proche de la machine que du sujet. Ces derniers ne sont pas prêts, comme le fait le philosophe Dominique Lestel, à considérer que :

« L’animal est un sujet en ce sens qu’il interprète des significations et qu’il n’est ni une machine behavioriste qui réagit de façon instinctive à des stimulations extérieures, ni une machine cognitive qui traite de l’information » [2004, p. 85].

On peut comprendre que la thèse de l’animal-sujet dérange. Selon Lestel [2004], elle constituerait même la quatrième blessure narcissique pour l’humanité. En effet, après avoir admis avec Copernic que l’homme n’est plus au centre du monde, avec Darwin qu’il est une espèce d’animal, avec Freud qu’il est constitué par un inconscient « autonome et dynamique » qui n’est pas relatif à la conscience, l’homme découvre qu’il n’est plus le seul sujet dans l’univers.

Un exemple issu de mon expérience professionnelle montre l’ambivalence dans laquelle nous nous trouvons avec nos chiens que nous individualisons en les nommant et qui pourtant sont parfois traités comme des machines sans émotion.

Cette situation vécue remonte à ma formation d’éducateur de chien-guide d’aveugle. J’assistais dans le cadre d’un cours de zootechnie à la démonstration du tatouage d’un chiot. Je le tenais dans mes bras pendant que notre enseignante réalisait à l’a

ide d’une pince l’acte permettant d’inscrire dans son oreille un numéro d’identification. Alors que l’opération se déroulait sans anesthésie (eh oui, cette technique se pratique encore), le chiot s’est mis à crier.  Son émotion me traversa et je sentis mon visage changé de couleur. J'entends encore le professeur me professer, sans doute à la vue de ma mine déconfite : « Mais non, il ne sent rien ». D'où provenait donc ce bruit dans ce cas ? En lui posant la question, l’enseignante m’aurait peut-être expliqué que ce cri était la conséquence de l’agencement minutieux d'une mécanique semblable à une horloge suisse permettant de faire sortir l’air contenu dans les poumons du chiot qui, ainsi expulsé, a fait vibrer ses cordes vocales et provoqué du même coup un bruit strident. Et vous, qu’en pensez-vous ? Ma sensation que ce chiot avait mal n’était-elle qu’un excès d’anthropomorphisme ? Le philosophe Jean-Marie Meyer [2007, p.50] répondrait sans doute que oui, comme le montre sa réponse au journaliste Patrice Plunkett :

« En attendant ces cris, en regardant ces mimiques, nous avons l’impression de sentir « quelque chose qui nous parle », et nous disons de l’animal : « il ne lui manque que la parole ! Là est l’illusion. Prêter à l’animal quelque chose de mes pensées ou de mes intentions (alors que souvent je me trompe en les prêtant à d’autres humains), c’est gratuit, subjectif, et parfois périlleux ».

Si je ne partage pas ce point de vue, Meyer a tout de même le mérite de nous rappeler la vigilance à avoir pour ne pas tomber dans le piège des erreurs d’interprétations qui, plus souvent qu’on ne le pense, nous conduisent à mal comprendre notre chien. Mais comme le souligne également Meyer [2007], il nous arrive aussi de nous tromper avec les personnes. C’est peut-être à ce moment-là d’ailleurs qu’il se contredit, car ne pas se comprendre, n’empêche pas deux individus d’entretenir des relations, parfois profondes.

Les chiens sont des animaux dont on commence à mettre à jour les capacités sensorielles et cognitives. S’ils restent encore peu étudiés par rapport à d’autres espèces, ils devient difficile de ne pas leur attribuer des caractéristiques comme l’intelligence, l’émotivité ou la coopération.

L’historien Eric Baratay [2012, p. 44-45) rappelle que :

« […] les sciences contemporaines (éthologie, psychologie, neurologie…) […] accumulent les remises en cause et accordent de plus en plus aux animaux en capacité à évaluer et ressentir, en possibilité d’interprétation, de communication, d’initiative, d’adaptation ».

A.3. Origine de la séparation homme/animal : la pensée cartésienne

Je vais maintenant aborder la question de la séparation entre l’homme et l’animal. Il ne s’agit pas ici de visiter dans les détails les étapes et les auteurs ayant contribué à ancrer l’idée selon laquelle l’animal serait une machine. Mon intention est d’éclairer ce moment particulier où la pensée occidentale a été transformée par la thèse métaphysique selon laquelle le corps et l’esprit sont deux substances distinctes. Pour cela, j’ai choisi de convoquer René Descartes (1596-1650) considéré comme l’un des fondateurs de la philosophie moderne. Il vécut au XVIIe siècle, époque où débuta la révolution scientifique. Elisabeth de Fontenay, elle aussi philosophe, anime l’émission, Vivre avec les bêtes, diffusées sur France Inter le dimanche. Elle explique que Descartes :

 «  […] a décidé, pour mettre fin à ces croyances [celles liées à la réincarnation]qu’il trouvait absurdes et dangereuses pour le bien-être  humain, de construire une méthode de pensée qui libère les hommes, améliore leur vie et les rende heureux en leur donnant l’autorisation de devenir sans crainte, comme des maîtres et possesseurs de la nature. Ce grand philosophe a donc considéré que la seule façon de se débarrasser de cette attribution d’une âme à des bêtes et de la croyance à la réincarnation était de supposer que les animaux n’étaient rien de plus ou rien d’autre que des machines aux mécanismes très compliqués et qu’ils n’avaient reçu du Créateur aucune sorte d’âme, donc aucune sensibilité et aucune pensée » [De Fontenay, 2006, p. 33-35].

L'hypothèse cartésienne, remise en cause aujourd’hui, a permis la construction du système de pensée à partir duquel des progrès prodigieux ont été possibles. En contrepartie, les animaux ont payé un lourd tribut en devenant des machines au service de l’homme qui pouvait désormais les utiliser et les consommer sans modération. L’éthologiste et neuropsychiatre Boris Cyrulnik donne la mesure de l’impact du dualisme cartésien dans le champ des sciences :

« Le bénéfice de l’esprit cartésien, c’est l’analyse, qui nous a donné le pouvoir. Le maléfice du cartésianisme, c’est aussi l’analyse : on a coupé l’homme de la nature ; on a fait des animaux des choses, on a dit qu’un animal ne possédant pas d’organe de la parole ne souffrirait pas et, là-dessus, on en a déduit qu’un aphasique n’était pas un humain, qu’un enfant qui ne parlait pas ne devait pas non plus éprouver la douleur » [Lou Matignon et al., 2003, p.115].

Pour sa part, l’historien Eric Baratay qui tente de construire une approche historique envisagée du point de vue animale, explique :

« La rupture entre la culture et la nature a été fortifiée par les révolutions industrielle et agricole, par la constitution des sciences humaines aux XIXe – XXe siècles, qui se sont données pour but d’étudier les cultures, en les considérant comme des attributs humains distinctifs, et leurs manières d’utiliser la nature.  Tout cela a légitimé la vieille tentation d’ériger l’animal en objet […] » [Baratay, 2012, p. 46].

type-ontologieBaratay cite également les travaux de l’ethnologue et anthropologue Philippe Descola (3) qui :

« […] a montré qu’à côté de ce qu’il nomme le naturalisme occidental – qui fonde les différences entre humains et non-humains, voire entre humains, sur celles, supposées, des intériorités, et qui réserve la notion de sujet aux humains sur ce critère – existent, sur les autres continents, un animisme qui distingue d’après les différences physiques, un totémisme qui postule une ressemblance interne et externe de tous, un analogisme qui les différencie tous, au contraire, pour en faire des singularités » [Baratay, 2012, p.46 – 47].

En faisant ainsi remarquer qu’ailleurs des hommes pensent différemment leur rapport à la nature, Baratay [2012, p. 47] conclue :

«  […] il n’y a aucune raison immanente à ne pas faire évoluer la conception occidentale […] pour tenir compte des récentes remises en cause des sciences de la nature. Celles-ci incitent à ne plus définir l’animal par le défaut, l’absence, la privation de facultés, et à réduire le mur construit entre lui et l’homme – au titre de la possession exclusive par ce dernier de la pensée, du langage, de la culture – en parlant de pensées, de langages et de cultures de degrés variables, de capacités de vie, de mouvement, de réaction, de souffrance ».

Pour constater notre tendance à nous enfermer dans un système de pensée, voici un petit jeu souvent utilisé en formation. Pour accéder au jeu, suivez ce lien : http://villemin.gerard.free.fr/Puzzle/EnigClas.htm#neufpoin.

En revenant sur le basculement qui a conduit à ériger un fossé entre l’homme et l’animal, mon intention était de préciser un aspect fondamental de la relation avec le chien et qui explique les manières parfois contradictoires de le considérer. Pour illustrer ce rapport ambivalent, tantôt proche, tantôt distant, il suffit de mesurer l’écart séparant  les personnes considérant leur chien comme un membre de la famille à part entière (4) et celles pour lesquelles celui-ci ne représente qu’une valeur économique (5), avec entre autres conséquences l’existence d’usines à chiots où les chiennes sont transformées en unité à produire des bébés. Ce que nous observons aujourd’hui de la relation entre les humains et les chiens a pourtant quelque chose d’unique. C’est ce que nous allons voir en évoquant la grande histoire qui nous unit l’un à l’autre.

B.1. La fonction métaphysique de l’animal

peinture-rupestre

Avant d’avoir considéré les animaux comme des machines, l’homme a commencé par peindre leur image. Pour expliquer la raison de ces peintures, Cyrulnik [2000, p. 158] formule l’hypothèse que :

peinture-egypte-ancienne 1

« Les dessins des animaux épousent les reliefs de la roche et on peut imaginer que ces animaux s’animaient à la lumière tremblante des torches. Les hommes ont eu peut-être  le sentiment que ces animaux étaient de l’autre côté de la paroi et imprimaient leur force à la roche, tout comme les chrétiens du Moyen Âge étaient persuadés que le rayon du soleil qui pénétrait dans l’église par les vitraux était un morceau de Dieu ».

Dans son explication, Cyrulnik insiste sur la dimension spirituelle de la relation que nos lointains ancêtres entretenaient avec les animaux. Ces derniers étaient représentés dans de petits objets offerts aux défunts. Ces premières formes d’art montrent comment les animaux ont contribué à lutter contre le sentiment d’angoisse accompagnant l’éveil d’une conscience face à la mort.  Cette fonction métaphysique de l’animal s’est transformée avec l’apparition des outils. En lançant des silex taillés, les hommes ont découvert qu’ils pouvaient tenir les prédateurs à distance et ainsi s’en protéger. Cette première étape a sans doute donné aux hommes le sentiment d’une certaine maîtrise de la nature, sentiment qui s’est renforcé en apprenant à tuer les animaux.

B.2. Les premières domestications

squelette-chien-nécropole-néolithiqueDe tous les animaux, le chien est le premier à avoir été domestiqué. Par comparaison, la domestication du bœuf se situerait aux alentours de 8 500 ans avant notre ère. Quant au chien, le sociologue Domique Guillo [2009] précise dans son ouvrage, Des chiens et des humains, que les plus anciens crânes de canidés fossilisés découverts à ce jour, présentant des traits manifestement différents du loup, situent l’origine du processus de domestication du chien à plus de 14 000 ans.

Connaître l’origine du processus de domestication n’explique pas comment l’homme et le chien se sont rapprochés l’un de l’autre.  Si l’on se réfère à la thèse de l’animal-machine évoqué précédemment alors on aura tendance à penser que la domestication du chien est le résultat d’une appropriation intentionnelle par l’homme de la nature. Une expérience menée par le généticien Dmitri Belyaev semble le confirmer. Son hypothèse était qu’en faisant se reproduire des renards argentés on obtiendrait après plusieurs générations des individus aux caractéristiques semblables au chien domestique. Elle fut confirmée par les résultats montrant qu’après quarante générations, les renards sélectionnés avaient des traits nouveaux qui les rapprochent du chien.

Pour sa part, Guillo s’interroge sur la capacité des premiers hommes à planifier la domestication des canidés. Sa remise en question de la thèse intentionnelle s’appuie sur l’incapacité des hominidés à planifier un processus aussi complexe que celui de la domestication. Il étaye ainsi son propos :

« Rappelons tout d’abord que la séparation entre la lignée des chiens et celles des loups a commencé à s’opérer au contact des hominidés dont la culture technologique et l’organisation sociale traduisent une vie mentale très frustre, du moins du point de vue de la rationalité instrumentale et planificatrice » [Guillo, 2009, p. 46].

En s’inscrivant dans la perspective inspirée de la théorie de l’évolution néodarwinienne, Guillo suggère une autre manière d’envisager le rapprochement entre les humains et les chiens partageant une niche écologique commune. Comme il l’explique :

«  […] en se développant, l’homme a ouvert une nouvelle niche écologique [qui] a ensuite été colonisée, comme toutes les niches nouvelles, par des espèces opportunistes, qui se sont modifiées en conséquence et ont ainsi divergé des espèces initiales dont elles étaient issues – les loups, dans le cas des chiens » [2009, p. 52-53].

Cette hypothèse suggère que le chien n’est pas un spectateur passif de son évolution. Pour envisager autrement le rapprochement du chien et de l’homme, pensons à l’effet que peut avoir un chiot sur nous. Quelque chose en lui nous attire particulièrement. Face à ses caractéristiques physiques attendrissantes et son comportement pataud, un chiot nous incite le plus souvent à la caresse. Pourquoi n’en aurait-il pas été ainsi il y a plusieurs milliers d’années ? Pour découvrir d’autres scénarios possibles, je vous renvoie à la lecture du livre de Dominique Guillo.

Ce qui me semble intéressant à retenir ici, c'est l'idée selon laquelle les animaux les plus proches de l’homme seraient en fait ceux avec lesquels ils partagent une même niche écologique plutôt qu’une proximité génétique. Dans ce sens, le chien est plus proche de l’homme que le singe. Comme le remarque Zelda Crottaz dans son analyse des relations homme-animal telles qu’elles apparaissent à la télévision. En s’intéressant au singe, elle conclut son étude en indiquant que :

« […] leur proximité généalogique et leur ressemblance physique à l’être humain n’en font pas pour autant des « compagnons » de l’homme adaptés au monde humain » [Crottaz, 2012, p. 99-100].

Pour progresser dans la compréhension de la relation que nous entretenons avec les chiens, je vais m’intéresser maintenant à une histoire plus proche.

B.3. Du chien utilitaire au chien de famille

Pour parler du chien que nous connaissons aujourd’hui, il nous faut faire un grand bond en avant pour arriver jusqu’au milieu du XIXe siècle. C’est en effet à cette époque que l’on va trouver réunie l’ensemble des conditions permettant la démocratisation de l’intégration du chien dans la sphère familiale.

Avant d’entrer dans la douceur de la famille, rappelons tout de même que les conditions de vie des chiens ont longtemps été particulièrement rudes. Ils n’ont pas toujours occupé cette place de choix comme celle que nous leur octroyons volontiers aujourd’hui. Avant d’être protégés, les chiens ont subi la violence des hommes. Baratay [2012, p. 180] explique ainsi qu’à cette époque :

« […] Les chiens reçoivent d’abondants coups de trique ou de pieds s’ils n’obéissent pas assez vite, pas comme il faut ou pas du tout, s’ils oublient leur travail, s’absente pour folâtrer, s’attaquent, affamés, aux autres bêtes ou se rebiffent contre leur maître violent, voire s’ils sont simplement là et si les hommes veulent s’amuser avec dans la fête et les groupes, à l’instar de ce qu’ils font fréquemment avec les volailles et les chats ».

photo-chien-travailLongtemps, les hommes ont considéré le chien comme un animal leur permettant d’accomplir un grand nombre de tâches. Dans cette relation fondée sur le labeur, chacun reste à distance de l’autre. Les gens répugnent à caresser cet animal le plus souvent sale, malade, voire agressif quand il se déplace en bande.

Ce sombre tableau va pourtant s’éclairer avec l’amélioration générale des conditions de vie de la population. L’acquisition par un grand nombre de chiens du statut de familier se fera progressivement. Deux populations canines, celle des chiens utilitaires et celle des chiens de famille ont ainsi vécu pendant un temps côté à côte. Comme l’explique Baratay [2012, p. 278] :

photo-chien-compagnie 1

« On ne peut pas dire qu’il y ait création d’une condition nouvelle au XIXe siècle, car une bonne partie de ces aspects apparaissent avant, parmi les chiens de l’aristocratie d’Ancien Régime. Il s’agit plutôt d’une diffusion de cette condition en raison de l’adoption du chien de compagnie par les bourgeoisies, voire par des modestes, qui avait, elle aussi, commencé auparavant mais qui s’accélère à ce moment ».

Aujourd’hui, les chiens utilisés représentent une minorité de la population canine. Ce changement de statut a conduit à une explosion de la démographie des chiens à partir des années 1960 pour atteindre environ 9 millions d’individus en France au début du XXIe siècle. Les chiens ont désormais une alimentation sur mesure, ils sont soignés et certains bénéficient même d’un rituel funéraire quand ils meurent.

« Toutefois, cela ne doit pas faire oublier que la généralisation du chien de compagnie n’a pas éliminé la violence, mais a donné lieu à une sorte de mélange de préoccupation et de dédain : nombre de chiens sont maltraités, servent de souffre-douleur, sont abandonnés, notamment des jeunes, et rapidement euthanasiés dans les refuges ou les fourrières ; d’autres sont mal nourris, peu soignés, rarement menés en consultation, sauf pour être euthanasiés. Or la tendance augmente avec la précarisation économique de ce début de siècle. On peut même se demander si la stagnation puis la baisse récente du nombre de chiens, parce qu’ils correspondent moins à des familles plus éclatées, à la différence des chats, et le changement d’image dans le sens de la crainte, dû aux agressions de quelques-uns, n’annoncent pas un retournement et une autre étape de la vie canine » [Baratay, 2012, p. 313].

Ces quelques évocations de l’histoire des humains et des chiens montrent comment ils se sont progressivement liés l’un à l’autre. De ce passé plus ou moins lointain nous sont parvenues des traces rappelant que le chien n’a pas toujours été l’ami fidèle, soigné et éduqué que nous connaissons aujourd’hui.

Ce détour m’a permis de montrer que ce velu à qui nous avons ouvert l’espace de notre maison n’est plus tout à fait le même que celui qui hier était avant tout utilisé pour la chasse, la guerre ou encore le transport. En partageant avec lui l’intimité de notre foyer, nous avons conjointement transformé la relation qui nous unit. Mais comment au juste s’établit cette rencontre quand un chien arrive dans la famille ? Pour proposer une réponse à cette question, je vais piocher dans ma propre histoire.

C.A. L’importance de l’attachement

Comme beaucoup d’enfants, j’ai grandi sous le regard d’un chien. À dire vrai, je ne me souviens pas vraiment avoir partagé des moments particuliers de complicité avec Mickey qui fût le premier d’entre eux. Heureusement, mes parents m’ont rappelé comment celui-ci acceptait de se laisser faire alors qu’avec mes sœurs nous avions entrepris de nous faire transporter en grimpant sur son dos. Comment expliquer une telle tolérance du chien à notre égard ?

Konrad Lorenz

Si beaucoup de chiens vivent en parfaite harmonie avec nous, c’est d’abord parce qu’ils ont été profondément marqués par des contacts répétés et réguliers avec les premières personnes qu’ils ont côtoyées à l’endroit où ils sont nés. Ce phénomène que l’on nomme imprégnation a été mis en évidence par l’un des pères de l’éthologie, Konrad Lorenz. Durant une période dite sensible d’environ 5 semaines, un chiot est susceptible d’empreinte. C’est donc en grandissant dans notre environnement qu’il s’imprègne à nous pour toujours.

Imaginez maintenant qu’un chiot se développe à l’écart de tout et des hommes. Un tel isolement le privera des stimulations nécessaires à son bon développement. Plus grave encore, il deviendra un être affectivement fragile. On doit au psychanalyste John Bowlby d’avoir mis en évidence l’importance d’un attachement précoce. La carence affective de certains chiots explique leur recherche frénétique de contact à la vue d’une personne. Certains éleveurs l’ont d’ailleurs bien compris et n’hésite pas à isoler leurs chiots pour susciter l’acte d’achat. Et voilà comment peut débuter une relation, sur un malentendu. Séduit par l’attention que le chiot nous porte, débute alors une vie partagée avec un individu affectivement fragile.  

C.B. Se comprendre pour vivre ensemble

C’est justement pour lever ces malentendus possibles que je vous laisse maintenant la parole. Avez-vous quelques exemples de ces situations d’incompréhension ? Je vous propose de terminer cette présentation en poursuivant par un échange autour de cette question.

Notes

(1) Enquête sur le parc des animaux familiers, Facco/TNS Sofres [En ligne] 2010 [10/08/2012] : <URL http://www.facco.fr/Resultats-de-l-enquete-2006>

(2) Méchin, C., Les enjeux de la nomination animale dans la société française contemporaine, Anthropozoologica [En ligne] vol. 39, n°1, p. 133-141 [10/08/2012]

(3) Pour plus de détails sur les travaux de Descola présentés dans son ouvrage, Par-delà nature et culture (Gallimard, 2006), vous pouvez consulter son entretien avec Nicolas Rousseau disponible sur le site Actu-philosophia [En ligne] [10/08/2012] : <URL  http://www.actu-philosophia.com/spip.php?article250>

(4) Dans son ouvrage, Un animal et la vie est plus heureuse (Ixelles éditions, 2011, p. 92), Jean-Luc Vuillemenot se réfère à la psychologue Joanna D. Fisher selon laquelle la proportion de personne considérant leur animal comme un membre de la famille varie de 48 % à 99 %.

(5) Eric Baratay [2012, p. 294] fournit un repère de la valeur économique du chien en indiquant que : 

« […] l’augmentation de la production canine, estimée à 900.000 chiots en 2000, a suscité la création d’importants élevages où, dans un établissement sur deux d’après une enquête de la fin des années 1990, les bêtes vivent dans des conditions précaires. […] Biens de plus en plus précieux pour leur propriétaire, les chiens sont d’abord des produits commerciaux pour leurs vendeurs ».

Le dossier consacré au marché de l’animal de compagnie paru dans la revue Capital de janvier 2012 indique qu’un chiot se négocie quelques centaines d’euros et parfois jusqu’à 3000 € pour les races à la mode.

Bibliographie

A venir...        

 

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commentaires

M
Article intéressant qui apporte des éléments utiles sur le relationnel entre le chien et l'animal. Bravo!
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L
Super ♥
T
trop .... ;-)
C
<br /> Sacré article, j'ai particulièrement aimé les citations.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Super boulot, continuez ainsi !!<br />
Répondre
C
<br /> Article très intéressant, qui nous permet de mieux comprendre le pourquoi du comment.<br />
Répondre
L
<br /> Article très complet, à lire en plusieurs fois ! mais très interressant.<br />
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T
<br /> Bravo pour le site et pour la qualité des articles.<br /> <br /> <br /> Bonne continuation<br />
Répondre